Ceuta… Un mulet pendant une journée…
Bouchra CHAKIR
Une image qui nous fait honte
encore une fois, celle de deux femmes étouffées englouties dans leurs paquets
de marchandises… ces pauvres femmes qui ne voulaient que gagner honnêtement
leur vie... Cette vie qu'elles ont perdue pendant une bousculade en franchisant
la frontière entre l'Afrique et l'Espagne…
Ce ne sont pas les premières
victimes et elles ne seront certainement pas les dernières... chaque jour des
centaines, voir des milliers de femmes
parcourent ce chemin inhumain, un chemin qui fait honte aux responsables
marocains qui négligent toute une région,
dépourvue de toute industrie ou possibilité d'emploi autre que de petits
commerce de produits de terroir ou vente de légumes ou de marchandises issues
de la contrebande, un chemin de terreur qui fait honte aussi à l'Espagne qui se
vante de ses conditions de travail adaptées aux normes européennes!!
Il y a quelques mois, j'ai
moi-même traversé le passage vers Ceuta, sous une chaleur torride, j'ai marché
à côté de femmes, jeunes et moins jeunes et quelques hommes, j'ai remarqué
leurs sourires aux lèvres qui dissimulaient toute une souffrance, elles
entraient à Ceuta pour travailler dans les petits cafés de la ville calme, pour
servir ou faire le ménage et en profitaient pour faire du commerce, d'autres
plus âgées entraient et sortaient pour transporter des marchandises. le soir
venu, elles rentraient chez-elles, fatiguées mais il fallait faire tout un
chemin accablées par leurs marchandises qui dépassaient parfois les 50 kilos ou
plus encore… j'ai refais le même chemin , et j'ai proposé à une femme essoufflée
de l'aider, j'ai moi aussi été une femme mulet
pendant une journée, je l'ai aidé à porter des couvertures emballées, je
suis arrivée époumonée aux services douaniers marocains… celle que j'ai aidé,
avait des yeux qui brillaient, brillaient de tristesse et de détresse, nous
avons échangé pendant que nous attendions dans une file de deux kilomètres,
j'ai appris qu'elle, comme d'autres, faisait ce trajet au moins quatre fois par
jour, elle visitait les entrepôts et portait les colis préparés par les
commerçants et repartait dans l'autre direction pour pouvoir revenir et porter
d'autres fardeaux, pour chaque traversée, ces femmes percevaient 5 euros pas
plus! Elle m'avait confié qu'elle était maman de trois enfants et que son mari
ne travaillait pas et que le seul boulot qu'elle a trouvé c'est d'être une
femme mulet… elle m'avait parlé de ces filles qui travaillaient dans des snacks
ou cafés de Ceuta et profitaient aussi de faire des petits commerces, mais des
femmes de son âge ne pouvaient qu'être des porteuses (portadoras) ou des mulets… Peu importe le nom
qu'on leur donnait, elles avaient besoin de gagner leur vie et de nourrir leurs
familles.
Cette enclave espagnole comme Melilla sont considérées comme
deux zones franches et connaissent un échange de marchandises dénué de taxes,
ce qui est considéré comme une opportunité pour les grand commerçants de ces
deux villes et ceux de l'autre rive du Maroc, pour eux le commerce prospère même
si il était au détriment d'autres petites âmes qui montent soudain au ciel lors
d'une embuscade, vers un paradis qui leur tend la main ailleurs afin de les
sauver de l'enfer de la terre…
Pendant une journée, j'ai vécu leur enfer, j'ai compris
leur souffrance, j'ai entendu leurs plaintes silencieuses…
On pouvait lire dans "The Virtue of
Selfishness" ", que le droit à la vie (signifie qu’un homme a le droit de
vivre de son travail (à tous les niveaux de l’économie, aussi haut que sa
compétence lui permettra d’aller)…
Elles aussi elles voulaient vivre alors qu'elles étaient
déjà mortes… elles voulaient tout simplement pouvoir jouir de ce droit…
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